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Avec son mobilier à la fois solide et gracile, son papier peint à rayures; sa frise de vues de haut-lieux urbains, son grand planisphère et sa suspension à pampilles, l'ancien bureau avait une élégance feutrée. L'aura d'Édouard lui-même tenait à sa personne, à ses occupations d'écritures et particulièrement à ses relations avec les représentants de la compagnie d'assurances L'Union, dont il était le représentant local. L'Union dont le siège social était situé Place Vendôme. Ainsi la capitale, le grand monde entraient dans les murs de la maison provençale.
À l'angle sud-ouest de la maison, la position de l'ancien bureau est stratégique, on y jouit d'une vue du jardin clos ; l'atmosphère y est à la fois calfeutrée et ouverte vers l'extérieur, du moins l'extérieur protégé du monde qu'est le jardin. On ignore ce qu'était le bureau d'Édouard avant lui, seuls témoignent de ce passé inconnu la superposition de deux papiers peints cachés sous le sien et dont il reste des lambeaux derrière le piano* qui avait été acheté au consulat d'Angleterre de Marseille. Belle pièce de style victorien, il est hélas inaccordable car fabriqué avec un cadre en bois ; il contribue donc à l'artifice - au côté "décor" de la pièce.
* ce piano n'est plus présent actuellement dans la maison, cependant, nous l'avons remplacé par un piano ayant appartenu à Stone & Charden, datant de 1890 avec des touches en ivoire, il est dans l'espace boudoir en face de l'ancien bureau.
Ça a été la pièce de la maison la plus difficile à restaurer, sans doute à cause de la forte personnalité d'Édouard, dont c'était l'antre inaccessible. Il fallait, en outre, parvenir à surmonter le poids des archives qu'elle contenait et qui a tant façonné l'atmosphère du lieu au XXe siècle. Il est donc logique que ce soit la pièce qui a été restaurée en dernier. Le résultat est un statement comme nulle part ailleurs à La Tartugo. Et ce statement a peut-être à voir avec sa relative sobriété. La pièce garde aujourd'hui suffisamment de son passé pour ne pas le trahir. On notera le radassier, qui renvoie à la période "bouchonnerie" de la maison pendant laquelle, au XIXe siècle, elle était pleine de meubles provençaux - et qui fait de la pièce aujourd'hui une radassière, une pièce de repos, renversement de la situation par rapport à l'époque d'Édouard où elle était le contraire, le lieu qui, dans la maison, symbolisait le travail intellectuel. Façon, peut-être, d'y intégrer le souvenir de Mimi : le radassier serait l'écho de l'ancienne méridienne qui se trouvait jadis dans son boudoir, de l'autre côté du boudoir. La pièce intègre également la modernité réflexive de la génération du début du XXIe siècle qui y vit actuellement.
La sobriété n'empêche pas la malice. La porte du trompe-l'oeil à gauche renvoie à celle de la chambre en alcôve, qui est d'ailleurs davantage paravent que porte.
Du temps d'Édouard, c'était un lieu interdit aux enfants. Derrière sa table de travail sénatoriale - qui est devenue ensuite celle du traducteur (transportée au premier étage), se trouvait à main gauche son portrait en médaillon et, à main droite un autre médaillon représentant sa dulcinée, son amour de jeunesse, qu'il aurait voulu épouser, et qui n'était pas Élisabeth, sa beaucoup plus jeune épouse. Exemple cruel de la mentalité de l'époque. La véritable Provence est beaucoup plus rude et sombre, gionesque, que celle que, depuis les années 1950, promulguent l'esprit côtier et les promoteurs immobiliers, contre lesquels la Tartugo s'inscrit en faux. Mais elle a ses propres couleurs, comme avait ses couleurs propres le bureau d'Édouard avec son papier peint à rayures (disparu), à dominante rouge légèrement violacé, agrémenté d'une frise dans laquelle le maître des lieux avait intégré des cartouches rectangulaires représentant des vues délicates de paysages et villes du monde entier tirées du magazine L'Illustration. Le planisphère qui occupait tout le mur sud soulignait encore la référence à l'appel du large. Les voilages rosés de la bibliothèque, la suspension rose à pampilles contribuaient à conférer à cette pièce qu'on aurait imaginée austère une sensualité qu'on ne pouvait éviter de relier à l'évocation de l'amour perdu mais bien présent d'Édouard, voire au décor des maisons de plaisir. Est-ce son caractère de capricorne qui a poussé Édouard à s'enfouir dans les écritures - ou la contrariété, l'insatisfaction ? Quoi qu'il en soit, c'était devenu un homme de mots, de paragraphes, de paperasses, tatillon, à l'écriture d'une régularité stricte et sans faille. Vous êtes invité.e à cliquer sur la ligne ci-dessous pour pénétrer dans son univers archivé.
Le carrelage de l'ancien bureau de La Tartugo (à droite) est le même que celui de l'antichambre de l'Habitation Clément au François, en Martinique (à gauche). Rhum, vin, mêmes carreaux.
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